La lutte contre la cybercriminalité : défis pour l’émergence d’une économie du savoir marocaine

A l’aube du troisième millénaire et à l’échelle planétaire, les sociétés vivent une émergence vers une économie du savoir engendrée par l’internationalisation technologique. Cette internationalisation a rendu les échanges d’informations instantanées, universelles et multidirectionnelles. Ainsi, les TIC sont devenues un phénomène de masse puisque des millions d’opérateurs économiques s’en servent quotidiennement pour différentes activités.


L’émergence d’une économie du savoir s’explique aussi par l’impact des TIC sur le domaine de l’éducation ou grâce à elles on peut suivre des cours en ligne ce qui favorise l’accès de tous à l’éducation et une hausse à ce niveau. Quoi que ces TIC soient jeunes, l’impact de leur utilisation économique est rapidement devenu un sujet de réflexion pour les juristes, les opérateurs économiques, les gouvernements, etc. Cela, vu la problématique de la sécurité qui constitue un défis pour l’économie du savoir, tout en considérant l’impact de la cybercriminalité sous toutes ces formes. Un impact négatif qui en fait constitue une menace pour cette économie.
Dans ce sens, plusieurs questions se posent :
– Comment la cybercriminalité affectera t- elle l’émergence de l’économie du savoir ?
– Comment peut-elle freiner le rôle des TIC dans l’économie du savoir ?
– Comment un pays en développement comme le Maroc ayant des accords de libre échange avec les puissances économiques voir technologiques peut-il faire face à la cybercriminalité et à son impact sur l’économie nationale et l’émergence de cette dernière vers une économie du savoir ?
– Le cadre légal marocain permet- il de lutter convenablement contre ce phénomène ?
– Quelles sont les limites du cadre légal marocain de la lutte contre la cybercriminalité ?
– Quelles sont les mesures à mettre en place pour affronter les défis imposés par la cybercriminalité à l’économie nationale et garantir l’émergence vers une économie du savoir ?
La réponse à ces questions sera d’après deux points essentiels :
1) L’insuffisance du cadre légal marocain pour lutter contre la cybercriminalité ;
2) les réformes nécessaires pour la lutte contre la cybercriminalité.

1) L’insuffisance du cadre légal marocain pour lutter contre la cybercriminalité :

L’économie marocaine a connu ces dernières années un changement considérable car auprès des secteurs traditionnels, nous avons constaté l’émergence de nouveaux secteurs. Le Maroc est devenu parmi les pays exportateurs des produits pharmaceutiques, de disque dur pour ordinateurs électroniques et de Carte magnétique pour ordinateurs électronique . Tous ces secteurs s’inscrivent dans le cadre de l’économie du savoir ce qui prouve l’émergence de l’économie marocaine vers une économie fondée sur une large utilisation des TIC. Dans ce sens le Maroc a aussi enregistré un point fort lorsqu’il a été classé par le rapport du forum économique international comme troisième pays arabe qui utilise les TIC.
Pourtant, les avantages comparatifs traditionnels liés à des dotations de facteurs ou aux seuls indicateurs habituels (de prix ou de coût salariaux, énergétiques, financiers) qui, bien qu’essentiels, ne peuvent suffire aujourd’hui à refléter la position compétitive d’une économie de savoir.
A l’aube de la mondialisation, la compétitivité s’avère une notion multidimensionnelle et repose sur d’autres déterminants, notamment l’investissement en technologie, la recherche-développement et l’innovation . Ceci dit, dans un univers de concurrence imparfaite provoquée par la libéralisation des échanges internationaux des biens et des services, l’essentiel se joue sur la compétitivité technologique (innovation et progrès technique) .
A ce niveau le Maroc a perdu des points cette fois et selon le même rapport. Ainsi, sur 132 pays, il est classé au 96 place en ce qui concerne l’innovation, 75 rang pour l’utilisation des TIC par les entreprises et 89 rang en ce qui concerne les lois relatives aux TIC . En conséquence, l’émergence de l’économie marocaine vers une économie du savoir doit être accompagnée par l’élargissement de l’utilisation des TIC mais encore plus par un cadre juridique apte à lutter contre la cybercriminalité qui constitue actuellement une menace à l’émergence de cette économie.
Dans ce sens, le Maroc a mis en place une stratégie nationale pour la société de l’information et l’économie numérique qui considère que la compétitivité internationale de l’économie marocaine est conditionnée par l’élargissement de l’utilisation des TIC par tous les acteurs publics, privé et individus . Parmi les actions prises en considération pour la réalisation de cette stratégie, l’aménagement du cadre légal pour inciter les PME à l’usage des services en ligne, notamment le paiement des taxes et redevances . En fait la mise en œuvre du cadre légale est primordiale pour faciliter l’émergence de l’économie marocaine vers une économie du savoir car seules des règles juridiques très strictes peuvent faire face à la cybercriminalité qui constitue un défis à l’émergence vers une économie de savoir. La cybercriminalité représente, entre autres, une entrave au e-learning et au e-commerce qui restent très limité au Maroc à cause de cette crainte de l’utilisation des services d’Internet pour l’achat et la vente des biens et des services en ligne.
Dans ce sens s’inscrivent les efforts menés par le législateur marocain qui a mis en place un ensemble de textes juridiques qui visent l’instauration de la confiance en les services en lignes et l’élargissement de l’utilisation des TIC.
Ces textes juridiques sont:
– Loi n°07-03 complétant le code pénal en ce qui concerne les infractions relatives aux systèmes de traitement automatisé des données ;
– La loi 53-05 relative à l’échange électronique de données juridiques ;
– La loi n°09-08 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel ;
– La loi n°34-05 modifiant et complétant la loi n°2.00 relative aux droits d’auteur et droits voisins ;
– Décret du relatif à l’interconnexion des réseaux de télécommunications.
– Décret relatif aux conditions générales d’exploitation des réseaux publics de
Télécommunications.
– Cahiers des charges des opérateurs.
– Loi n° 77-03 relative à la communication audiovisuelle.
En dépit de tous ces textes juridiques la cybercriminalité représente toujours un défi pour l’émergence de l’économie marocaine vers une économie de savoir. Cela est justifié par le classement du Maroc au niveau des lois relatives au TIC par le rapport de forum économique international à la 89 ème place parmi 132 pays. Ceci dit, cet arsenal juridique est insuffisant, en premier lieu, pour lutter contre la cybercriminalité. En second lieu pour faciliter l’émergence d’une économie de savoir marocaine. Dans ce cadre, il est impératif de noter que la cybercriminalité évolue par le même rythme de l’évolution des TIC, par contre le cadre juridique marocain prend beaucoup de temps, tout d’abord pour la discussion et le vote de lois, en suite pour son application. En conséquence, on constat un décalage à deux niveaux. En premier lieu entre l’évolution rapide des TIC et de la cybercriminalité et l’évolution ou la mise en œuvre du cadre juridique qui vise la lutte contre la cybercriminalité.
En second lieu, au niveau du cadre juridique à savoir le décalage entre la promulgation d’une loi et sa mise en application voir même la bonne application de cette loi tout en considérant « la culture technologique » des juges.
Ainsi si en prend par exemple le droit pénal, le problème qui s’impose et limite son rôle dans la lutte contre la cybercriminalité est la difficulté de justifier certaines crimes, de justifier l’intention criminelle, d’identifier les auteurs et de poursuivre les infractions commises par Internet. Ainsi en note l’absence d’une loi cadre pour la cybercriminalité qui prend en considération la spécificité de ces crimes et des outils techniques permettant de prouver l’existence ou non du délit.
Une autre insuffisance qui peut nuire à la lutte contre la cybercriminalité au Maroc est que la loi n° 15-95 formant code de commerce est composée de cinq livres :
Livre premier : Le commerçant
Livre II: Le fonds de commerce
Livre III : Les effets de commerce
Livre IV : Les contrats commerciaux, dispositions générales
Livre V : Les difficultés de l’entreprise.
On constate alors l’absence de règles juridiques concernant le commerce électronique ce qui peut avoir un impact négatif sur l’économie du savoir.
En effet le législateur marocain a essayé de combler ce vide par la loi 53-05 relative à l’échange électronique de données juridiques qui a consacré le titre II au régime juridique applicable à la signature électronique sécurisée,
à la cryptographie et à la certification électronique. Pourtant, il est impératif de signaler l’ambiguïté de cette loi dont le champ d’application est indéterminé.
Loi n°34-05 modifiant et complétant la loi n°2.00 relative aux droits d’auteur et droits voisins et selon l’article 3 les programmes d’ordinateur constituent un objet de protection de cette loi. Pourtant, le champ d’application de cette loi limité géographiquement représente une limite à son efficacité. De plus, cette loi a parlé des droits d’auteurs, des œuvres et des éditions d’une manière générale, alors que les éditions électroniques, le contenu des sites Web et les éditeurs de pages Web ont certaines spécificités qui exigent des règles juridiques spécifiques.
Quand à la loi n°09-08 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, elle n’est pas encore mise en œuvre.
Dans le même ordre d’idée on note que la jurisprudence concernant la cybercriminalité est presque inexistante, sachant pertinemment, qu’elle joue un rôle important dans l’enrichissement et l’évolution des lois. Ainsi on se pose la question sur la compétence des juges en droit de l’informatique et de l’internet.

2) Les réformes nécessaires pour la lutte contre la cybercriminalité :
La lutte contre la cybercriminalité représente un défi pour l’émergence du Maroc vers une économie de savoir. Conscient de l’importance du jeu et de l’enjeu, le gouvernement marocain a mis une stratégie nationale pour la société de l’information et l’économie numérique. Une stratégie qui considère les TIC en tant qu’ « instruments clés pour le développement humain et économique » tout en considérant leur impact dans la productivité et la compétitivité internationale de l’économie nationale. Dans cette perspective, l’objectif principal de cette stratégie est de positionner le Maroc « parmi les pays émergents dynamiques dans les Technologies de l’Information » . Pour cela elle a mis 4 priorités stratégiques :
– Faciliter l’accès des citoyens à l’Internet afin de favoriser l’accès au savoir et à la connaissance ;
– Favoriser le programme e-gouvernement a fin de faciliter l’accès des citoyen aux services publics et rapprocher l’administration des besoins des usagers ;
– Accroître la productivité des PME/PMI d’après l’encouragement de leur informatisation ;
– Développer la filière locale TI en soutenant la création et la croissance des acteurs locaux ainsi qu’en favorisant l’émergence de pôles d’excellence à fort potentiel à l’export.
Pour réaliser tous ces objectifs et ces priorités et orientations stratégiques, le Programme Maroc numérique 2013 a mis deux principales mesures d’accompagnement à savoir le capital humain et l’instauration de la confiance numérique. Ces mesures constituent un élément fondamental pour garantir l’émergence d’une économie marocaine de savoir. Autrement dit, le développement technologique du Maroc est conditionné en premier lieu par la formation des ressources humaines aptes à contribuer efficacement au développement technologique du Maroc et à relever tous les défis imposés par la mondialisation technologique, notamment la cybercriminalité.
En second lieu, par la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel permettant de lutter efficacement contre la cybercriminalité et instaurer la confiance et la cybersécurité.
Dans cette perspective, la stratégie nationale pour la société de l’information et de l’économie numérique 2009-2013 prévoit en premier lieu, la mise à niveau et le renforcement du cadre législatif, l’objectif est de :
– susciter la confiance des individus, l’administration et les opérateurs économiques ;
– évoluer au rythme des développements technologiques et répondre aux enjeux imposés par la mondialisation technologique tout en protégeant les usagers et les internautes marocains ;
– promouvoir le e- commerce qui est conditionné par la protection des données personnelles et des échanges électroniques liés également au développement des prestations de certification électronique et de cryptographie .

La stratégie nationale prévoit aussi la mise en place des structures organisationnelles appropriées chargées d’assister les acteurs de la société sur les problématiques de sécurité des systèmes d’information (SSI), et notamment :
– la mise en place d’un comité de la sécurité des systèmes d’information chargé de l’élaboration de la politique relative à la protection des infrastructures critiques du Royaume.
– Mettre en place, au niveau national, d’un centre de coordination et de réponse aux incidents liés à la sécurité des systèmes d’information (ma-CERT) ;
– Soutenir la mise en place et le développement du premier prestataire de service de certificats electroniques, ayant pour rôle d’offrir aux échanges électroniques une garantie de fiabilité, d’authentification et d’intégrité des données et ceci par l’émission et la délivrance de certificats électroniques .
– Mettre en place la CNDP, en charge d’informer les personnes sur leurs droits et obligations, de proposer au gouvernement les mesures législatives ou réglementaires permettant d’adapter la protection des données personnelles aux évolutions technologiques, d’assurer le respect de la loi sur la protection des personnes physiques à l’égard des traitements des données à caractère personnel.
– Encourager le développement des sites de back up dans le cadre de Partenariat Public Privé, permettant d’assurer la continuité des services des infrastructures critiques du Royaume.
En fin la stratégie nationale de la société de l’information et de l’économie numérique 2009-2013 prévoit la promotion et la sensibilisation des acteurs de la société à la sécurité des systèmes d’information. L’objectif est de diffuser les informations sur la confiance numérique et la sécurité des systèmes informatiques et susciter une culture technologique voir même une culture de la sécurité chez tous les acteurs de l’économie de savoir.
Selon cette stratégie, plusieurs actions s’inscrivent dans ce sens à savoir :
– La mise en place d’un programme de communication sur le thème de la sécurité des systèmes d’information à destination du grand public, des entreprises et des administrations.
– La mise en place des programmes de formation aux TI et à la SSI à destination des élèves ingénieurs, leur permettant d’acquérir le niveau adéquat de connaissance en fonction de leurs spécialisations.
– La mise en place des formations permettant à l’ensemble des magistrats d’avoir des connaissances de base sur les TI et la SSI.
– Le renforcement de la confiance des citoyens dans le commerce électronique par la mise en place d’un label des sites marchands en partenariat avec les fédérations et notamment la CGEM . Ainsi l’implication de la société civile peut jouer un rôle très important vue sa capacité d’être très proche des citoyens.

En effet, la lutte contre la cybercriminalité exige la mise en place d’autres mesures et réformes outre celles contenues dans la stratégie nationale, notamment la mise en place d’une loi cadre qui pénalise la cybercriminalité et les décrets d’application au lieu de ces articles distribués dans différents textes juridiques. La stratégie nationale prévoit la formation des magistrats comme outil pour assurer la bonne application de la législation sur les TIC, pourtant, il est aussi impératif de prévoir la formation de tous ceux et celles qui interviennent de près ou de loin dans l’application de cette législation, notamment, les avocats et les journalistes sachant pertinemment que ces derniers peuvent jouer un rôle très important dans la sensibilisation et l’instauration de la confiance numérique.
L’utilisation des TIC est devenue indispensable dans le secteur public et privé, en conséquence le droit des TIC doit être considéré comme matière enseignée dans toutes les disciplines comme est le cas de la législation du travail.
Parmi les objectifs du Plan Maroc Numérique 2013 la généralisation de l’informatisation des établissements scolaires. Ainsi, la lutte contre la cybercriminalité doit commencer de l’école. C’est pourquoi comme on éduque nos enfants et comme en leurs apprend que le vole est un crime on doit aussi leur apprendre que la falsification, le plagiat, la fraude informatique sont aussi des crimes. Cela exige la révision des programmes scolaires est l’harmonisation de ces programmes avec les besoins de l’évolution technologique et de la mutation vers une société du savoir et une économie de l’information.
Ainsi, il faut rappeler que les jeunes doivent être la première population cible du programme de sensibilisation contenue dans la stratégie nationale de la société de l’information et de l’économie du savoir 2009-2013.
A cet égard, il est nécessaire d’encourager les jeunes, dont un nombre croissant maîtrise les technologies de l’information, à jouer un rôle spécial de promotion et de diffusion des informations sur la confiance numérique et la sécurité des systèmes informatiques et susciter une culture technologique voir même une culture de la sécurité sur le terrain, auprès des différents acteurs sociaux et notamment de leurs aînés.
Dans le même ordre d’idée, il est impératif de créer des passerelles entre tous les organismes intervenus dans la lutte contre la cybercriminalité et l’instauration de la confiance numérique et les autres acteurs dans ce domaine à savoir les universités, les entreprises et la société civile principalement les associations professionnelles.
En définitive, comme l’émergence de l’économie marocaine vers une économie de savoir est conditionnée entre autres par la lutte contre la cybercriminalité, il est impératif de tout focaliser pour réaliser cet objectif. Ainsi l’Etat dans toutes ces composantes doit s’engager pour réaliser les objectifs déterminés par la stratégie nationale de la société de l’information et l’économie du savoir 2009-2013. Ceci dit la coordination entre tous les acteurs et les secteurs qui concourent au développement technologique du Maroc est fondamentale dans le sens de l’émergence du Maroc vers une économie de savoir.



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– World Economic Forum, The Global Competitiveness Report 2009-2010, 2009 Genève. http://www.weforum.org

Réalisé par

Dr. Fatima Roumate
Présidente et Fondatrice de l’Institut International de la Recherche Scientifique